sabato, febbraio 10, 2007

Le Vin de l'Assassin




Ma femme est morte, je suis libre!

Je puis donc boire tout mon soûl.

Lorsque je rentrais sans un sou,

Ses cris me déchiraient la fibre.


5Autant qu'un roi je suis heureux;

L'air est pur, le ciel admirable...

Nous avions un été semblable

Lorsque j'en devins amoureux!



L'horrible soif qui me déchire
10Aurait besoin pour s'assouvir

D'autant de vin qu'en peut tenir

Son tombeau; — ce n'est pas peu dire:



Je l'ai jetée au fond d'un puits,

Et j'ai même poussé sur elle
15Tous les pavés de la margelle.

— Je l'oublierai si je le puis!



Au nom des serments de tendresse,

Dont rien ne peut nous délier,

Et pour nous réconcilier
20Comme au beau temps de notre ivresse,



J'implorai d'elle un rendez-vous,

Le soir, sur une route obscure.

Elle y vint — folle créature!

Nous sommes tous plus ou moins fous!


25Elle était encore jolie,

Quoique bien fatiguée! et moi,

Je l'aimais trop! voilà pourquoi

Je lui dis: Sors de cette vie!



Nul ne peut me comprendre. Un seul
30Parmi ces ivrognes stupides

Songea-t-il dans ses nuits morbides

A faire du vin un linceul?



Cette crapule invulnérable

Comme les machines de fer
35Jamais, ni l'été ni l'hiver,

N'a connu l'amour véritable,



Avec ses noirs enchantements,

Son cortège infernal d'alarmes,

Ses fioles de poison, ses larmes,
40Ses bruits de chaîne et d'ossements!



— Me voilà libre et solitaire!

Je serai ce soir ivre mort;

Alors, sans peur et sans remords,

Je me coucherai sur la terre,


45Et je dormirai comme un chien!

Le chariot aux lourdes roues

Chargé de pierres et de boues,

Le wagon enragé peut bien



Ecraser ma tête coupable
50Ou me couper par le milieu,

Je m'en moque comme de Dieu,

Du Diable ou de la Sainte Table!

Charles Baudelaire - Le Vin de l'Assassin
Fleurs du Mal

1 commento:

Anonimo ha detto...

Oui, probablement il est donc